lundi 13 décembre 2010

Julia Ross et les dépendances alimentaires

Plus personne ne pense qu’arrêter l’héroïne ou arrêter de boire n’est qu’une question de volonté, de discipline ou d’intelligence. Pourtant on continue à penser qu’il suffit de le vouloir pour arrêter de manger des sucreries, des pâtes, des chips ou des cacahuètes. Julia Ross, justement, vient des cliniques de désintoxication, les vraies. Et depuis plus de vingt ans, elle applique cette expérience non seulement à des toxicomanes ou à des alcooliques, mais aussi à des anorexiques, à des boulimiques, à des personnes qui ont des problèmes de poids, et même à des personnes qui ont des problèmes d’humeur – qui sont déprimés, ou trop agités, ou fatigués, ou trop tristes.

C’est que des mécanismes semblables contrôlent toutes ces dépendances. Le cerveau a un besoin vital de sucre, mais aussi de quatre neurotransmetteurs qui régulent les humeurs. Lorsqu’il manque d’un de ces éléments, il exige qu’on y pallie. Selon les individus, ce peut être le mécanisme d’une boulimie, d’un alcoolisme, d’une dépression, ou d’un simple problème de poids. Par exemple, l’inanition fait planer les anorexiques, en générant des endorphines, de l’opium naturel. L’alcool ou les sucreries font remonter le taux de sucre des hypoglycémiques. Le café donne un coup de fouet à certains, qui n’arrivent pas à se réveiller sans cela.

Or, nous dit Julia Ross, quand le cerveau crie famine, il suffit de lui procurer les bons acides aminés pour l’apaiser, car ces acides aminés permettent au corps de fabriquer immédiatement les neurotransmetteurs dont il a besoin. Un acide aminé, la L-glutamine, peut même se substituer au glucose comme carburant du cerveau. Du coup, cinq acides aminés constituent le cœur de l’arsenal de Julia Ross pour traiter ses patients : car il peuvent mettre un terme en quelques heures, et parfois même quelques minutes, aux fringales et aux envies incontrôlables.
La L-glutamine permet donc de répondre aux problèmes d’hypoglycémie. Le 5-HTP permet de produire la sérotonine, anti-dépresseur naturel. La D-phénylalanine est le principal aminé favorisant la production d’endorphines, nos anti-douleurs et euphorisants naturels. La tyrosine permet de produire nos stimulants naturels, les catécholamines (i.e. adrénaline, noradrénaline et dopamine). Et le GABA est lui-même un espèce de Valium naturel. Toutes ces substances sont en vente libre, essentiellement inoffensives (en dépit de quelques contre-indications), et permettent très souvent de reconquérir rapidement une liberté qu’on ne savait souvent pas qu’on avait.

Moi, par exemple, j’étais un junkie des pâtes. On pouvait bien m’appeler à la modération (et on ne manquait pas de le faire), mais il était aussi impensable pour moi de consommer 60 g de pâtes et de m’arrêter là, que pour un alcoolique de prendre juste un petit verre à l’apéro. Littéralement, je mangeais jusqu’à m’en faire éclater, sans réel contrôle. En utilisant principalement la DLPA et le 5-HTP, j’ai pu me désintoxiquer très rapidement. Et maintenant, je me sens par rapport aux pâtes comme par rapport à la cigarette. Je les regarde en me disant : mais qu’est-ce que j’ai bien pu leur trouver ?

Remarque importante : les acides aminés permettent de contrôler les fringales si, et seulement si on mange suffisamment. Dans la méthode de Julia Ross, il est donc absolument essentiel de ne pas limiter son apport en calories, et de ne pas sauter de repas. Grâce aux compléments alimentaires qu’elle recommande, on peut se défaire des dépendances. Du coup, on retrouve (ou pour certains, on découvre) la régulation naturelle de l’appétit. On peut écouter son corps pour savoir si on a besoin de manger ou pas.

Les acides aminés permettent de contrôler les fringales, mais la plupart du temps, ces fringales ont une cause plus profonde. C’est pourquoi la méthode de Julia Ross consiste avant tout en l’élimination des déséquilibres physiologiques qui sont la cause réelle des problèmes de poids et des troubles du comportement alimentaire. Dans son livre, The Diet Cure, dont votre serviteur signe une adaptation française à paraître en janvier aux éditions Thierry Souccar, Libérez-vous des fringales, Julia Ross identifie huit déséquilibres qui peuvent être les vraies causes des problèmes de poids :
1- Les régimes (voir à ce sujet le post sur le rapport du Prof. Lecerf)
2- La régulation de la glycémie
3- L’épuisement des surrénales
4- Les faiblesses thyroïdiennes
5- Les sensibilités alimentaires, ou allergies cachées
6- Les perturbations hormonales
7- La prolifération des levures
8- Les carences en acides gras

Si la suppression immédiate, symptomatique, des fringales, se fait grâce aux acides aminés, leur suppression définitive suppose d'éliminer leur cause, donc le plus souvent un ou plusieurs de ces huit déséquilibres. Cela se fait la plupart du temps par une approche nutritionnelle. Si les déséquilibres sont graves cependant, une aide médicale et médicamenteuse peut être requise. Mais le plus souvent, une réforme de l'alimentation (qui ne repose JAMAIS sur la restriction calorique) et un programme de supplémentation adaptés suffisent à réguler définitivement un métabolisme perturbé.

Les principes de base de la réforme alimentaire selon Julia sont simples : suffisamment de protéines à tous les repas, beaucoup de bonnes graisses, trois repas par jour sans jamais se restreindre ou sauter un repas, quatre portions de légumes par jour, frais de préférence, pas de sucreries, et des glucides en complément si on a encore faim après les protéines, le gras et les légumes -- pas comme base de l'alimentation. Un multivitamines est nécessaire (et elle recommande True Balance de NOW Foods, quatre par jour, avec un complément de calcium et de magnésium) comme part d'une alimentation saine. Les autres compléments alimentaires ne sont nécessaires que dans la phase de transition/guérison.

lundi 29 novembre 2010

Oui, les régimes font grossir ! Mais il y a plus.



En France, c’est enfin officiel : les régimes sont dangereux, font grossir, causent des carences graves, perturbent le métabolisme, et sont une cause majeures des troubles du comportement alimentaires, comme l’anorexie et la boulimie. Ce sont en effet les conclusions principales de l’étude présentée par le Prof. Lecerf à l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (Anes) le 23 novembre dernier.

Ce qui est amusant, c’est que les arguments mis en avant sont exactement ceux que vous retrouverez dans un livre à paraître en janvier prochain aux éditions Thierry Souccar, l’Anti-régime, par Julia Ross, dans une adaptation française de votre serviteur (je vous en reparle sous peu) :

- Dans plus de 95% des cas, on pèse plus quelques années après un régime.

- Des personnes qui n’étaient pas initialement en surpoids se retrouvent en fin de compte en surpoids à cause des régimes

- Les régimes causent des carences graves

- Les régimes perturbent le métabolisme

- Les régimes sont la première cause des troubles du comportement alimentaire, en particulier l’anorexie et la boulimie, et aussi de la perte de poids.

On ne peut que se réjouir que la nutrition officielle se défasse de ce premier tabou – l’idée qu’une modification temporaire de votre alimentation vous permettra d’atteindre le poids souhaité, et que vous pourrez ensuite, reprendre une alimentation normale, comme dirait le PPD des guignols. Il reste néanmoins beaucoup à faire en France pour nous libérer de la vision moraliste du poids : on est gros parce qu’on mange trop et qu’on ne bouge pas assez. Un peu d’austérité est ça ira mieux ; et par conséquent, l’excès de poids est un échec moral, un défaut de volonté.

Dans la collection que je lance avec les éditions Thierry Souccar (« La Nouvelle Nutrition », nom temporaire), j’essaierai, en adaptant des auteurs surtout américains, de démontrer qu’une bonne alimentation peut et doit être joyeuse, et être suivie naturellement. Oui, il faut faire un effort pour modifier son alimentation ; oui, on doit faire attention à ce qu’on mange. Mais on ressort toujours perdant d’une guerre contre soi. Au lieu de ça, il faut attendre le plus vite possible un état où on mange ce dont on a envie, quand on a faim. J’essaierai d’expliquer ça en détail dans mon prochain livre, La guerre du poids n’aura pas lieu. Ne zappez pas.

Dans l’intervalle, voici quelques sujets que devrait aborder la nouvelle collection : Gary Taubes a raconté comment le dogme du cholestérol s’était imposé sans fondement scientifique (les lecteurs de ce blog connaissent déjà les grandes lignes de cette histoire) ; Atkins a bien établi que la consommation de graisses saines était bénéfique à la santé ; les praticiens et théoriciens du régime paléolithique, comme Mark Sisson, Loren Cordain ou Rob Wolffe savent bien qu’une vie sans céréales et une vie plus longue, plus saine et plus heureuse ; les spécialistes de l’obésité comme Scott Rigden ont démontré que l’allergie au blé est une des causes principales de l’obésité ; le rôle des addictions a été synthétisé par Julia Ross ; les patients de Paul Chek ou de William Wolcott ont appris à écouter les besoins changeants et uniques de leur corps plutôt que les diverses idéologies qui prétendent réguler notre alimentation. Si nous pouvons contribuer, même un peu, à changer les façons de penser par rapport au poids, notre travail n’aura pas été inutile.

mardi 13 avril 2010

L'invention d'un consensus

Voici mon résumé en Français du troisième chapitre du livre de Gary Taubes, Good Calories, Bad Calories. Il raconte comment, au cours des années 1970, l'hypothèse selon laquelle le gras cause les maladies cardio-vasculaires et l'obésité est devenue parole d'évangile, toujours sans justification scientifique. Vous trouverez les chapitres précédents de cette saga sur le dogme du cholestérol ici, et . A venir, la dernière partie de cette courte histoire, et un post sur les addictions alimentaires.


Le Comité spécial du sénateur George McGovern, mal informé et manipulé, transforma l'hypothèse de Keys en dogme absolu et officiel à partir de 1977.

L'argument selon lequel les céréales sont la nourriture idéale de l'alimentation de masse, bien plus efficaces écologiquement que les produits animaux, devint commun en 1971 avec la publication de Diet for a Small Planet (Régime pour une petite planète) de Francis Morre Lappé, un végétarien de 26 ans : les deux millions de tonne de production annuelle de boeuf aux Etats-Unis, arguait-il, consommaient vingt millions de tonnes de protéines de soja et d'autres végétaux. Ce sont donc dix huit millions de tonnes de protéines gaspillées qui auraient pu nourrir des populations affamées. La consommation de viande était devenue une question sociale et politique, et non plus seulement scientifique. Les deux aspects eurent tôt fait de fusionner, et dès le début des années 1970 l'argument moral et l'argument de santé étaient utilisés ensemble. Un mouvement anti-gras, anti-viande s'était développé, dont les racines étaient à trouver dans la contre-culture des années 1960, la sensibilité aux questions de faim dans le monde et de surpopulation, et la mise en cause des habitudes alimentaires « des riches » (comme dans la "révélation" initiale de Keys à Naples) et des Etats-Unis en particulier.

Les choses ont probablement basculé en faveur de Keys le 14 janvier 1977, quand le sénateur George McGovern a annoncé la publication des premiers Objectifs alimentaires pour les États-Unis. Pour la première fois, le gouvernement fédéral américain affirmait qu'on améliorerait sa santé en mangeant moins gras, ce qui démarrait une réaction en chaine dans la presse et le grand public et donnait à l'hypothèse de Keys la consécration de la parole officielle. Pourtant, les Objectifs Alimentaires étaient fondés sur un ensemble d'études aux résultats ambigus, scientifiquement contestables et contestés, et en convenaient d'ailleurs. Mais on n'avait rien à perdre, disait le rapport, à changer ses habitudes alimentaires, puisque « aucun risque » n'avait été identifié (nous venons de montrer le contraire) et qu'on pouvait attendre de ce changement « de grands bénéfices ».

Les Objectifs étaient le produit du Comité spécial du Sénat américain sur la nutrition et les besoins humains, un comité bipartisan fondé en 1968 avec pour objectif d'éradiquer la malnutrition, et qui avait d'abord créé des programmes fédéraux d'assistance alimentaire. C'est fort de ce succès que le Comité se tournait vers la question du lien entre alimentation et maladies chroniques.

Le comité comptait des politiciens majeurs, comme McGovern, Ted Kennedy, Charles Percy, Bob Dole ou Hubert Humphrey. McGovern lui-même avait été très influencé par la philosophie de Nathan Pritikin, qui consistait en un régime très pauvre en graisses et beaucoup d'exercice.

Le personnel du comité, qui avait bien sûr une influence déterminante sur ses travaux, ne comptait aucun spécialiste mais seulement des juristes et d'anciens journalistes, qui n'avaient pas idée qu'une controverse scientifique existait sur les thèse de Keys. Ils se faisaient un devoir de n'examiner qu'avec méfiance les arguments des industries du lait, de la viande, et des oeufs. Mottern, qui rédigerait l'essentiel des Objectifs, avait commencé sa carrière au Sénat après avoir vu un documentaire sur la famine en Afrique à la télévision en 1974. La thèse du « changement de régime des américains» (ch. 1) était pour lui un argument décisif et incontestable. Quand on en venait aux question scientifiques, Mottern se reposait pour ainsi dire sur les conseils d'un seul expert, Mark Hegsted, de Harvard, et il voyait en Keys, Stamler et Hegsted des héros résistant aux pressions d'une industrie agro-alimentaire qu'il comparait volontiers à celle du tabac.

Presque aucun chercheur n'était d'accord avec les recommandations des Objectifs, de sorte que le Comité organisa, suite à leur publication, huit séries d'audiences supplémentaires. Plusieurs chercheurs, administrateurs et organisations médicales importants vinrent témoigner que les Objectifs étaient au mieux prématurés, au pire irresponsables. Mais la présence d'industriels de l'agro-alimentaire à leurs côtés ne servait pas leur crédibilité.

Dans la version révisée des Objectifs alimentaires, le Comité recommandait de lutter prioritairement contre le surpoids. Au lieu de recommander de manger moins de viande, il recommandait de manger des viandes moins grasses. Le comité reconnaissait aussi en préface que certaines questions importantes étaient encore sans réponse, en particulier : « la baisse du taux de cholestérol sanguin permet-elle de prévenir ou de retarder les maladies cardiaques? ».

Cette question ne recevrait jamais de réponse, mais cela ne semblait plus devoir avoir d'importance – la question du régime alimentaire était devenue politique, et Keys et ses partisans en étaient les gagnants. Le Ministère de l'Agriculture (USDA) du président Carter, sous la direction de Carol Foreman, allaient se charger de faire des recommandations du Comité McGovern la politique officielle du gouvernement, et publiait en Février 1980 les Principes alimentaires pour les américains (Dietary Guidelines for Americans). Les Principes, comme les Objectifs, reconnaissaient l'existence d'un débat et même la possibilité que le même régime ne soit pas approprié pour toute la population. Il n'en proclamait pas moins en couverture: « Évitez de manger trop de graisses, trop de graisses saturées, et trop de cholestérol. »

Le Conseil sur l'alimentation et la nutrition (Food and Nutrition Board -FNB) publia ensuite sa propre version des Principes, qui, beaucoup plus prudemment, conseillait seulement de surveiller son poids. Parce que ces recommandations ne suivaient pas les conclusions du Comité spécial et des Objectifs, elles provoquèrent une levée de bouclier dans la presse et parmi les politiques, et surtout des accusations de corruption. Jane Brody, du New York Times, écrivit que tous les membres du FNB était « dans la poche des industries » qui souffraient des recommandations de McGovern. Le président du Sous-comité pour la santé de la Chambre des représentants, Henry Waxman, décrivit les recommandations du FNB comme « inexactes et potentiellement biaisées » ainsi que « tout-à-fait dangereuses ».

Une fois la thèse douteuse devenue officielle, les résultats de recherche ne semblaient plus pouvoir l'ébranler. En fait, la thèse de Keys était devenue un présupposé de la recherche.

L'essai d'envergure qui aurait pu trancher la controverse de manière scientifique ne fut jamais mené, en grande partie parce qu'il aurait coûté un milliard de dollars. En 1971, le NIH avait décidé de dépenser un tiers de cette somme pour six études plus petites dont il espérait qu'elles seraient suffisamment conclusives. Les résultats de ces études furent connus entre 1980 et 1984, trop tard donc pour influer les recommandations officielles. Au contraire, comme nous allons le voir, ce sont les les recommandations qui pesèrent manifestement sur la façon dont les résultats des études furent interprétés.

Quatre de ces études portaient sur de nouvelles études multi-pays (comme l'étude initiale de Keys) et cherchaient, sans succès, à établir un lien entre le gras dans l'alimentation et l'état général de santé de la population. A la lecture des conclusions de ces études, on voit néanmoins que les auteurs s'efforçaient toujours d'interpréter les résultats dans le sens de la thèse désormais officielle. La plupart de ces études suggéraient également un lien entre réduction du cholestérol et cancer – une tendance qui s'est renforcée tout au long des années 1970, et que le National Heart, Lung and Blood Institute (NHLBI), qui conduisait les études, jugeait « chagrinante ». Là encore, on décida de rejeter les preuves allant dans ce sens et de ne retenir que les études allant dans le « bon » sens – mais cette fois le scepticisme avait changé de côté, et ce sont les partisans de la réduction du cholestérol qui insistaient sur l'insuffisance des preuves.

Les deux autres études coutèrent 265 millions à elles deux, et testaient l'efficacité, pour la prévention des crises cardiaques, d'une approche multi-factorielle (Étude MRFIT) pour l'une ; et de médicaments anti-cholestérol pour l'autre (Étude LRC). Dans les deux cas, on testait des population d'hommes d'âges moyens à cholestérol élevé mais qui n'avaient pas eu de crise cardiaque. Ces hommes présentant supposément un risque élevé de crise cardiaque, on espérait des bénéfices spectaculaires de la réduction du cholestérol. Dans l'étude LRC, on avait même jugé contraire à l'éthique de ne pas faire bénéficier le groupe de contrôle du régime anti-cholestérol, ce qui témoigne bien que, bien avant le Comité McGovern, les autorités de santé s'étaient fait leur opinion quant aux bienfaits de la réduction du cholestérol.

Dans l'étude MRFIT (Multiple Risk Factor Intervention Trial), il y eut plus de morts parmi ceux à qui on avait conseillé d'arrêter de fumer, de suivre un régime anti-cholestérol, et de prendre des médicaments contre l'hypertension, que dans le groupe de contrôle. L'étude LRC, elle, démontrait bien une réduction du cholestérol d'environ 13 % grâce au médicament anti-cholestérol (couplé donc, dans le groupe placébo comme dans le groupe traité, à un régime anti-cholestérol) contre 4 % au groupe de contrôle. En ce qui concerne la mortalité après dix ans, les chiffres du groupe traité étaient meilleurs que ceux du groupe placébo de 0,2 % ! En d'autres termes, l'effet sur la longévité du médicament n'était pas statistiquement significatif.


L'étude MRFIT n'en fut pas moins considéré comme conclusive. Qui plus est, ses auteurs affirmèrent non seulement qu'elle démontrait les bénéfices du médicament, mais encore qu'elle démontaient ceux du régime anti-cholestérol, lequel n'avait même pas été testé, puisque les deux groupes l'avaient suivi. En mars 1984, Times faisait pourtant sa une sur « Cholestérol : et maintenant la mauvaise nouvelle... » et l'article, qui portait donc sur le test d'un médicament, commençait par ces mots : « Pas de lait entier. Pas de beurre. Pas de viande grasse. Moins d'oeufs... »

En décembre, le NIH organisait une « conférence de consensus » pour clore le sujet. La conférence ne donnait simplement pas de voix aux sceptiques et concluait qu'il n'y avait « aucun doute » : les régimes pauvres en graisses constituaient une protection significative contre les maladies cardiaques.

jeudi 1 avril 2010

Le régime Métabolique Personnalisé (Typage Métabolique)

Une hypothèse sous-tend la quasi-totalité du discours et de la recherche sur la nutrition: il y a un régime idéal. De nos jours, on nous dit beaucoup que ledit régime devrait être pauvre en gras, riche en fruits et légumes, et aussi avoir des « goodies » comme des antioxydants et des Omega-3. Bien sûr, les experts sérieux reconnaitront qu'ils ne savent pas – pas encore – quel est exactement le régime idéal, mais presque aucun ne remet en cause son unicité.

Pourtant, nous savons tous qu'un aliment donné réussit mieux aux uns qu'aux autres. Nous l'avons même remarqué avec les compléments alimentaires, et avec les médicaments: La vitamine C, l'aspirine, « ça marche » pour certains, moins bien pour d'autres. Qui plus est, nous constatons aussi la diversité des régimes « qui marchent »: lisez Kousmine, et vous verrez qu'un régime pauvre en viandes et en laitages, riche en céréales complètes et en huiles végétales de première qualité fait des merveilles contre les maladies dégénératives. Elle a des centaines d'exemple. Lisez Atkins, et vous trouverez aussi de la recherche et des centaines de cas de gens qui se portent très bien avec un régime très gras, plein de homards au beurre et d'entrecôtes béarnaises, mais sans céréales et très limité en glucides (i.e. en sucres et en féculents).

Bref, il semble assez raisonnable de reconnaître que les besoins alimentaires des uns et des autres sont différents. Mais, une fois ce truisme admis, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés. Comment savoir quel est le bon régime pour nous? Pour faire court, ceux qui sont en bonne santé semblent avoir résolu ce problème pour eux, mais ceux qui ne sont pas en grande forme, et en particulier ceux qui ont un problème de poids, n'ont pas trouvé leur réponse. Ils balancent souvent d'un régime à l'autre, perdant un peu de poids puis en regagnant un peu plus, essayant autre chose...

Le typage métabolique est un ensemble d'outils et de théories visant à déterminer le régime idéal de chacun, celui qui est adapté à notre métabolisme unique. Une figure dominante dans ce champ est l'américain Bill Wolcott, inventeur de ce qu'il appelle « l'approche intégrée » du typage métabolique. Il appelle son approche « intégrée » parce qu'elle intègre plusieurs théories du typage métabolique. En voici quelques unes.

Le système oxydatif de typage métabolique, développé par George Watson (1972), distingue les individus essentiellement selon le taux auquel leurs cellules brûlent le sucre. Watson, dans l'étude des maladies mentales, a en effet que découvert que la plupart des patients présentaient un déséquilibre du pH veineux, qu'il attribuait à un taux d'oxydation excessif (pH acide) ou insuffisant (pH alcalin). Les patients réagissaient extrêmement bien à un traitement visant à rétablir l'équilibre, qui consistaient principalement en un traitement de combustibles lents pour ceux qui brûlent le sucre rapidement (donc plus de gras et plus de protéines, et en particulier de purines); et un traitement de combustibles rapides pour ceux qui les brûlent lentement (donc plus de fruits et légumes, de céréales, et moins de gras). Qui plus est, les patients des deux catégories réagissaient aussi de manière opposées aux principaux micro-nutriments, vitamines et minéraux. La vitamine C, le calcium, et autres merveilles disponibles au Naturalia le plus proche étaient certes bénéfiques pour les uns, mais nuisibles pour les autres.

Le système neuro-hormonal de typage métabolique fut lui développé par William Kelley (tourné grand paranoïaque sur ses vieux jours) dans les années 1960/70, principalement sur la base des travaux de Francis Pottenger. Il distingue les individus non pas principalement selon le taux d'oxydation cellulaire, mais selon la dominance d'une des deux branches du système neurovégétatif, qui contrôle les activités involontaires ou réflexes: la branche orthosympathique contrôle les mécanismes de fuite ou de combat (stoppe la digestion, déclenche la production d'adrénaline, contracte les pupilles, etc.). La branche parasympathique contrôle les mécanismes de repos et de digestion (active la digestion, dilate les pupilles, ralentit le rythme cardiaque, etc.). Il s'agit donc de distinguer les individus non pas tant sur la façon dont ils produisent de l'énergie, mais sur la façon dont ils l'utilisent. Kelley, après Pottenger, a trouvé que certains aliments, et compléments, stimulent le système orthosympathique, et d'autres le système parasympathique. Les individus chez lesquels le système parasympathique est dominant préféreront un régime de type « carnivore », les individus chez lesquels le système sympathique est dominant se porteront mieux avec un régime plutôt « végétarien ». Comme chez Watson, les réactions des individus aux vitamines et minéraux sont également opposées.

D'autres typologies des métabolismes incluent les déséquilibres hormonaux; la perméabilité cellulaire (Revici); le groupe sanguin; l'équilibre electrolytique; les sensibilités alimentaires... Sur toutes ces questions, des caractéristiques physiologiques ou métaboliques différentes commandent des comportements alimentaires différents.

Wolcott, suivi en cela par un dénommé Harold Kristal, a trouvé que, selon les individus, c'était soit le système oxydatif, soit le système neuro-hormonal, qui était la variable principale pour expliquer le niveau d'énergie des individus, et par suite leur santé et leurs besoins alimentaires. Certaines personnes sont à dominante oxydative, d'autre à dominante neuro-hormonale. Ceux qui sont à dominante oxydative peuvent être des oxydateurs rapides, lents ou équilibrés. Ceux qui sont à dominante neuro-hormonale peuvent être des types orthosympathiques, parasympathiques, ou équilibrés.

(Notons au passage que cette dominance est un fait empirique et signifie que le système considéré est le facteur explicatif principal de l'énergie des individus en fonction de leur explication, ce qui ne signifie pas nécessairement que c'est le système qui fonctionne le mieux. Ma théorie sur la question est que ce système dominant est en fait le facteur limitant: quand votre système oxydatif est équilibré, ce sont les déséquilibres de votre système neuro-hormonal qui sont les facteurs déterminants de votre énergie. Quand au contraire votre système neuro-hormonal est parfaitement équilibré, c'est votre capacité à produire de l'énergie qui détermine votre énergie totale. C'est l'histoire de la chaîne qui est aussi forte que le plus faible de ses maillons. Juste ma théorie, notez)


Systèmes de dominance métabolique

Système oxydatif

Système neuro-hormonal

Oxydateurs lents

Sang alcalin1

Les aliments du groupe I acidifient leur sang, ce qui équilibre leur pH sanguin

Oxydateurs rapides

Sang acide

Les aliments du groupe II alcalinisent leur sang, ce qui équilibre leur pH sanguin

Orthosympathiques

Sang acide

Les aliments du groupe I alcalinisent leur sang, ce qui équilibre leur pH sanguin

Parasympathiques

Sang alcalin

Les aliments du groupe II acidifient leur sang, ce qui équilibre leur pH sanguin

Les mêmes aliments ont des effets opposés selon la dominance métabolique

Tableau traduit de The Nutrition Solution, par Harold Kristal et James Haig.

Dans les grandes lignes néanmoins, il n'y a encore que trois grandes catégories de régimes: le type riche en protéines en graisses, le type riche en glucides, et le type équilibré. Les oxydateurs rapides et les parasympathiques mangent plutôt carnivores, les oxydateur lents et les orthosympathiques mangent plutôt végétariens.

A quoi bon, demanderez-vous peut-être si vous avez suivi, distinguer entre dominance oxydative et dominance neuro-hormonale, puisqu'aussi bien chaque dominance peut conduire à chaque régime? D'abord, si on considère le pH veineux, qui était la variable principale pour Watson, les mêmes nourritures ont des effets opposées sur le pH sanguin selon la dominance. La viande est acidifiante pour les individus à dominance neuro-hormonale, mais elle est alcalinisante pour ceux chez lesquels le système oxydatif est dominant. Ensuite, il y a des différences fines de régime au niveau des micro-nutriments selon la dominance. Par exemple, selon Wolcott, le magnésium a des effets opposés sur les types oxydatifs et neuro-hormonaux, mais le phosphore a des effets identiques. Enfin, en pratique, un dominant neuro-hormonal ne manifestera pas une grande sensibilité aux fluctuations de sucre dans le sang, alors qu'un dominant oxydatif verra son énergie et son humeur varier spectaculairement au gré de son taux de glucose. Ce dernier point est important dans la pratique du typage métabolique, comme nous allons le voir.

En typage métabolique, on utilise un questionnaire, et un test clinique, pour déterminer à laquelle de ces grandes catégories vous appartenez. Ceci permet de déterminer une liste d'aliments à favoriser et une liste d'aliments à éviter, ainsi que les grandes lignes d'un équilibre entre les différents macro-nutriments (protéines, lipides et glucides): les types carnivores mangent plus gras et avec moins de glucides, les types végétariens mangent plus de fruits et légumes, et moins de protéines. Mais notre point de départ était l'unicité biochimique de chaque individu, de sorte que n'avoir que trois régimes standards parmi lesquels choisir serait peu satisfaisant. Une fois déterminées les grandes lignes du régime, il reste encore à le personnaliser.

D'abord, les déséquilibres secondaires, c'est-à-dire les déséquilibres relatifs aux systèmes secondaires de typage métabolique, donnent des indications complémentaires: si vous avez un déséquilibre electrolytique, il faut surveille plus particulièrement votre apport en eau et en sel; si vos membranes cellulaires sont insuffisamment perméables, il faut renforcer vos apports en acides gras essentiels; si vous avez une intolérance ou une sensibilité alimentaire, il vaut mieux supprimer l'aliment incriminé, au moins pour un temps; si votre thyroïde est faible, il faut mettre l'accent sur certaines nourritures et compléments selon votre type, etc.

Mais ensuite, c'est la pratique qui dicte la personnalisation du régime. C'est-à-dire que le régime idéal doit vous apporter le bien-être et l'énergie que vous attendez. Concrètement, les ajustements au régime sont donc faits par un processus d'essais/erreurs dans lequel on surveille:

  • Le niveau d'énergie dans les heures suivant le repas;

  • Les états émotionnels dans les heures suivant le repas;

  • La satisfaction de l'appétit, immédiatement après le repas et dans les heures qui suivent, en particulier l'absence de fringales.

En fin de compte, cet aspect du typage métabolique est évidemment le plus important: on peut discuter à l'envi tel ou tel aspect théorique de tel ou tel auteur du typage. A la fin, même la plus belle théorie n'est qu'un outil qu'on ne peut juger qu'au regard de ce qu'elle nous permet d'accomplir. Je ne peux que vous inviter à juger par vous-même des résultats quand vous personnalisez votre régime selon les indications du typage métabolique. Je peux vous dire que Wolcott, Kristal ou Philipott (le successeur de Kristal) sont rendus extrêmement confiants par leurs années de pratique ; et que, pour ma part, j'en ai trouvé les effets spectaculaires et incontestables.

1Quand nous parlons de sang « acide » ou « basique », il s'agit en fait d'une situtation relative par rapport au pH sanguin idéal de 7,46. Un pH de 7,3, qui est encore alcalin en termes absolus, est en fait extrêmement trop acide.

vendredi 12 février 2010

Brian Peskin et les acides gras essentiels


Brian Peskin est un original, mais il est à bien des égards emblématique de l'état de la science. Il pourrait même être un modèle pour son futur. Le « professeur », s'il a une bonne formation scientifique, n'est ni docteur, ni médecin, ni chercheur au sens habituel. Néanmoins, il a des théories et des recommandations qui sont basées sur la recherche scientifique la plus incontestable. Ce drôle de passeur épluche les revues scientifiques. Il élimine les articles dans lesquelles il discerne un biais ou un défaut de rigueur. Il se trouve qu'ils sont bien plus nombreux qu'on ne pourrait le croire : dans les revues médicales les plus prestigieuses, on trouve des procédures manquant de rigueur (par exemple on sélectionne soigneusement les sujets au préalable), un manque de maîtrise des outils statistiques (en particulier en ce qui concerne les résultats « significatifs »), et des résumés qui ne traduisent pas fidèlement le contenu de l'étude. Eh ouais.

Peskin n'est pas un spécialiste au sens disciplinaire. C'est un « honnête homme » d'aujourd'hui, appliquant son travail et son sens critique aux savoirs existants. Il en fait émerger ce qu'il appelle des « résultats de la vraie vie », donnant force à l'idée que nous savons en fait plus que nous ne croyions si nous pouvons faire des synthèses au sein de l'immensité de la recherche et de la science d'aujourd'hui.

Quelles sont donc les « découvertes » de Peskin, me demanderez-vous impatiemment ? Il y en a plusieurs, mais la principale a à voir avec les acides gras essentiels (AGEs). Ce sont les graisses que notre corps est incapable de synthétiser, et que notre alimentation doit par conséquent apporter. Ces acides gras sont nécessaires à bien des processus dans notre corps, en particulier ce sont des précurseurs de nombreuses hormones et secrétions actives, mais le rôle principal, celui sur lequel Peskin insiste, c'est que ces AGEs font partie de chaque membrane cellulaire et jouent un rôle fondamental au niveau de la respiration cellulaire. Au niveau de chaque cellule, elles permettent de capter l'oxygène transporté dans le sang par l'hémoglobine (chimiquement, ce pouvoir tient à la présence de plusieurs doubles liaisons qui s'ouvrent pour capter les atomes d'oxygène), de sorte qu'un apport approprié en AGE assurent la bonne respiration, donc le bon fonctionnement, de chacune des centaines de milliers de milliards de cellules de notre corps.

(Celui-là, c'est l'acide linoléique).

Or notre alimentation est pauvre en AGEs intacts : s'il y a beaucoup d'huiles poly-insaturées, et donc d'AGEs dans les margarines, dans les huiles végétales, dans les viandes et poissons, la plupart des ces AGEs sont abîmés par les polluants, les traitements industriels, et même la cuisson. Si une huile se garde des mois sur une étagère sans s'abîmer, c'est qu'en fait elle n'est déjà plus biologiquement disponible. Laissez une boîte de margarine ouverte sur la table, et il ne lui arrivera rien. Même après des semaines, elle ne moisira pas : aucun être vivant n'en veut. C'est justement parce que les AGEs ont un grand pouvoir de capter l'oxygène qu'elles sont extrêmement fragiles. Pour un bon apport d'AGEs, il faut donc des huiles biologiques, de première pression à froid, suffisamment fraîches, et conservées à l'abri de l'air, de la lumière et de la chaleur. D'où l'intérêt de certains compléments alimentaires dans lesquels l'huile est conservé en gélules dans des boîtes opaques.

A rigoureusement parler, il n'existe que deux acides gras essentiels : l'acide alpha-linolénique (ALA), qui est le maillon élémentaire de toute la famille des fameux Oméga-3 ; et l'acide linoléique (LA), qui est le maillon élementaire des toute la famille des Oméga-6. A partir de ces deux constituants de base, notre corps sait synthétiser tous les dérivés, tels que le DHA ou l'EPA pour les Oméga-3, ou le GLA (acide gamma-linoléique) et l'AA (acide arachidonique) pour les Oméga-6. Mais à l'inverse, notre corps ne sait pas produire d'ALA à partir de DHA ou d'EPA, ou de LA à partir de GLA ou d'AA. C'est pourquoi il est plus important de fournier à notre corps ces acides gras « parents » que les acides gras dérivés.

Ceci concerne en particulier les huiles de poisson, dont les vertus universelles sont si souvent vantées. Elles contiennent des Oméga-3, mais très peu d'Oméga-3 « parent », l'ALA, et beaucoup d'EPA et de DHA. Avez-vous des amis américains? Demandez-leur s'ils prennent des compléments d'huiles de poisson, en prévention des maladies cardiovasculaires, de la dépression, et de plein d'autres choses. Moi j'ai essayé : ils en prenaient tous. Pourtant, nous dit Peskin, l'overdose en huile de poisson est extrêmement novice. Les études cliniques montrent en effet qu'elle affaiblit le système immunitaire, compromet la formation du cerveau des bébés, cause des troubles dermatologiques (il n'y a quasiment pas d'Oméga-3 dans les cellules d'une peau saine) et perturbe la glycémie, avec des risques de surpoids et de diabète. Ajoutons que la plupart des huiles sont faites à partir de gros poissons qui accumulent les polluants, en particulier les métaux lourds.

Un mot de mon expérience personnelle ici, qui correspond à ces observations. Après quelques mois de supplémentation quotidienne aux doses recommandées d'huile de poisson, j'ai expérimenté en effet toutes sortes de désagrément, en particulier des perturbation de mon appétit qui ont mené à des problèmes de poids. Depuis que j'ai arrêté cette supplémentation et lui ai substitué les AGEs recommandées par Peskin, ça va très très bien. Pour ne citer qu'un effet positif, rapporté par d'autres également : mes gencives ne saignent plus.

Que recommande donc Peskin en détail? Un apport quotidien en LA et ALA proportionnel à votre poids, avec plus de LA que d'ALA (environ deux fois). Comment réalise-t-on cet apport? Avec des huiles de première pression à froid de graines, biologiques, fraîches et bien conservées. Par exemple, pour environ 1g d'ALA et 2g de LA, on peut prendre 2g d'huile de lin et 3g d'huile de tournesol, d'onagre, de chanvre ou de bourrache (ou un mélange de celles-ci). Peskin préconise également l'ajout d'un peu d'huile de coco, qui ne contient pas d'AGE mais a néanmoins de nombreuses vertus. On peut faire son propre mélange avec des huiles ou des compléments alimentaires, ou même acheter des gélules dosées selon les indication du Professeur depuis son site web. (C'est la meilleure solution, mais aussi la plus chère).

Une autre solution, très New Age, est d'utiliser directement les graines elles-mêmes. Après tout, elles apportent aussi des minéraux, des fibres, et puis elles sont naturellement conçues pour protéger les acides gras qu'elles contiennent. Pour ma part, je mouds une cuillère à soupe de graines de lin avec une cuillère à soupe de graines de tournesol, dans un moulin à café, et je mélange le tout à un peu de fromage blanc et de crème fraîche. Ceux qui le tolèrent bien, ou qui trouvent ce mélange peu à leur goût, peuvent évidemment ajouter un peu de douceur avec des fruits ou du miel ou même de la confiture, et faire l'impasse sur la crème. Néanmoins, comme la plupart des auteurs que je chroniquerai sur ce blog, Peskin promeut un régime pauvre en glucides et riche en graisses naturelles de qualité. Il défend aussi une supplémentation en minéraux biodisponibles, mais nous parlerons de cela une autre fois.

La thèse la plus choquante et la plus intéressante de Peskin est que ces AGEs constituent un mode de prévention souverain du cancer. En se basant sur les travaux reconnus et incontestés du Dr. Otto Warburg (Prix Nobel de médecine 1931), Peskin affirme que la cause primaire du cancer est toujours un défaut d'oxygénation cellulaire. Pour être honnête, il faut remarquer que Warburg a en fait montré la réciproque de cette affirmation : à savoir, que le défaut d'oxygénation cellulaire menait toujours à l'apparition d'un cancer. Vous accorderez néanmoins peut-être que l'affirmation de Peskin est du coup assez crédible. Et ce, d'autant plus que ses implications logiques sont suivies d'effet : l'apport en AGEs est effectivement un outil de prévention du cancer, et renforce aussi l'efficacité du traitement. Peskin met aussi en avant d'autres avantages de son approche, par exemple pour les sportifs, ou pour la régulation de l'appétit.

Si vous vous référez au site de Peskin, vous trouverez sans doute un gouffre culturel entre lui et ce que nous sommes habitués à prendre au sérieux. Les affirmations à l'emporte-pièces, l'auto-promotion décomplexée, les associations commerciales. Je vous invite à passer outre ces oripeaux, à les mettre sur le compte de la diversité culturelle, et à lire Peskin avec un esprit curieux et critique. Je ne peux en tous cas que reconnaître les effets spectaculaires de ses recommandations sur le bien-être et la santé de toute ma famille.

samedi 6 février 2010

A la recherche d'une preuve (Gary Taubes, Ch. 2)

L'hypothèse du lien entre alimentation grasse et maladies cardiaques (hypothèse de Keys) scinda la communauté des chercheurs et des cliniciens en deux groupes aux attitudes différentes

A partir des années 1950, la recherche sur l'hypothèse cholestérol se développa énormément. Les partisans de Keys, comme Jeremiah Stamler considéraient qu'ils avaient amassé un volume considérable de preuves en leur faveur. Mais ces preuves ne prenaient en compte qu'une petite moitié des résultats obtenus, et l'autre moitié ne supportait pas l'hypothèse de Keys selon laquelle les maladies coronariennes et cardiaques sont fortement influencées par la proportion de graisses dans l'alimentation. Deux attitudes opposées coexistaient dans la communauté médicale et scientifique. Comment deux décennies de recherche avaient-elles pu échouer à convaincre une moitié des chercheurs et totalement convaincre l'autre moitié ?

Une raison est celle de philosophies opposées : les opposants à Keys tendaient à avoir de fortes exigences de rigueur scientifique et ne se satisfaisaient pas de preuves faibles, alors que les partisans de Keys se voulaient prudents sur une question de santé publique et préféraient agir sur une présomption. Il leur semblait qu'on ne pouvait se payer le luxe de la preuve scientifique quand des américains mourraient tous les jours. « L'absence de preuve finale, définitive d'un hypothèse ne constitue pas une preuve de sa fausseté », disait Keys.

L'effet dans la presse était aussi très différent. D'un côté, un message simple et facile à répéter: « le gras tue ». De l'autre côté, on disait : « nous ne savons pas, plus d'études sont nécessaires », ce qui est évidemment un message moins mobilisateur. Et en effet, la presse fut très largement du côté de l'hypothèse cholestérol.

Les partisans de Keys eurent une attitude sélective, ne retenant que les études et les faits qui leur convenaient et les interprétant unilatéralement

Normalement, l'attitude scientifique consiste à éviter d'avoir une certitude avant les résultats de la recherche. Quand les chercheurs croient savoir que leur hypothèse est valide, ils ont tendance à ignorer les preuves contraires et à interpréter les résultats d'une façon unilatérale.

Par exemple, un argument de Keys était que les japonais vivant au Japon n'avait ni cholestérol ni crise cardiaque, et que les émigrés japonais aux Etats-Unis avait des taux plus élevés des deux. Mais Keys ne s'intéressait pas au fait (montré par les mêmes études) que les émigrés japonais qui avaient un faible taux de cholestérol avaient eux aussi une incidence plus élevée d'incidents cardiaques.

Les tribus Masai au Kenya ont des taux de cholestérol parmi les plus faibles jamais mesurés, alors que leur régime de lait et de sang avec de temps en temps un peu de viande est très riche en cholestérol, en graisses et en calories. Face à ce fait, Keys n'avait pour réponse que des contre-exemples, et une hypothèse que les Masai, ayant évolué en isolation du reste de l'humanité pendant des siècles, devaient être génétiquement différents. Les Masai qui avaient adopté un mode de vie occidental développaient pourtant un cholestérol élevé : un résultat que Keys devait ignorer pour maintenir son hypothèse. Un autre fait que Keys avait manifestement choisi d'ignorer et qui contredisait son hypothèse était que les Masai avaient beaucoup d'athérosclérose mais pas de maladies cardiaques.



Troisième exemple de sélectivité : l'étude « Framingham », généralement considérée comme une des principales preuves de l'hypothèse de Keys, a suivi à partir de 1950 jusqu'à 5.100 personnes dans cette petite ville du Massachusetts, à la recherche des facteurs de risque des maladies cardiaques dans la régime et le style de vie. En 1961, l'étude concluait que le risque de maladie cardiaque était cinq fois plus grand pour les personnes au cholestérol supérieur à 260mg/l que pour les personnes dont le taux de cholestérol était inférieur à 200. Ce qui n'était pas mentionné, c'est que les plus les hommes vieillissaient, plus ceux qui mourraient de crise cardiaque avait des chances d'avoir un cholestérol faible. La relation entre cholestérol et maladie cardiaque était faible chez les femmes de moins de 50 ans, inexistante au-delà. Les chercheurs concluaient en interne que le cholestérol « n'avait aucune valeur prédictive ». Plus fondamentalement, l'étude Framingham, comme d'autres, ne démontrait aucun lien entre alimentation grasse et maladies cardiaques. Ces faits n'étaient pas mentionnés car les administrateurs du National Institute of Health (NIH) avait à l'époque interdit la publication des résultats de l'étude, et ce n'est qu'en 1968 que la biostatisticienne Tavia Gordon publiait une analyse des résultats.

Un autre étude célèbre « la Western Electric Company », avait suivi 4400 employés de cette compagnie, et avait conclu après quatre ans (en 1961): « sur les 88 cas de maladies coronariennes, 14 provenaient du groupe qui mangeait beaucoup de gras, 16 de celui qui en consommait peu ». Vingt ans plus tard, les résultats démontraient que « la quantité d'acides gras saturés dans l'alimentation n'est pas significativement liée au risque de mort par maladie cardiaque ». Mais Stamler et Shekelle, deux partisans convaincus de Keys, savaient quels résultats ils auraient dû obtenir, et écrivaient: « Bien que la plupart des tentatives pour établir la relation... entre cholestérol alimentaire, acides gras saturés, et acides gras poly-insaturés d'une part, et taux de cholestérol sanguin d'autre part, n'aient pas été couronnées de succès...des résultats positifs ont été obtenus dans d'autres études », et ils en citaient quatre. Par conséquent, si cette étude particulière n'était pas conclusive, il fallait l'interpréter à la lumière des études qui l'étaient. « Dans le contexte complet de la littérature existante, ces observations soutiennent la conclusion que la composition en gras de l'alimentation influence le niveau de cholestérol sanguin et donc le risque de mort par maladie coronarienne à long terme chez les hommes américains d'âge moyen ». Malgré ce raisonnement tortueux, les conclusion de Stamler et Shekelle sur l'étude Western Electric étaient fidèlement reprises dans la presse en 1981, et encore réutilisées dans un rapport de l'AHA de 1990, Faits sur le cholestérol. Ce rapport référait aux résultats de l'étude comme « particulièrement impressionnants...montrant une corrélation entre acides gras saturés et maladies cardio-vasculaires », c'est-à-dire précisément ce que l'étude ne démontrait pas.

L'étude « aux Sept Pays » et d'autres essais n'ont pas démontré l'hypothèse de Keys. Qui plus est, l'analyse risques/bénéfices des régimes abaissant le cholestérol n'a pas été menée.

En fait, la quasi-totalité des études similaires n'ont pas démontré de lien entre alimentation grasse et maladie cardiaque. Les partisans de Keys dénonçaient ces études comme portant sur des populations trop homogènes, où tout le monde mangeait trop gras et en revenaient aux études de Keys comparant des pays dont les régimes différaient fondamentalement.

La « légendaire » Etude aux Sept Pays fut lancée par Keys en 1956 avec un soutien financier, énorme pour l'époque, de la part du Public Health Service (200.000$). Elle portait sur 13.000 hommes d'âge moyen dans seize populations essentiellement rurales en Italie, Yougoslavie, Grèce, Finlande, aux Pays-Bas, au Japon, et aux Etats-Unis. La mortalité d'origine cardiaque variait en effet spectaculairement après quatorze ans, de 9 ‰ en Crète à 992 ‰ pour les bûcherons et fermier finlandais. Selon Keys en 1970, les conclusions étaient claires:

  • Le niveau de cholestérol prédit le risque de maladie cardiaque

  • La quantité d'acides gras saturés dans l'alimentation prédit le niveau de cholestérol et donc de maladies cardiaques (une variante de l'idée originale de Keys, qui impliquait toutes les graisses)

  • Les acides gras mono-insaturés protègent contre les maladies cardiaques (les pêcheurs crétois consommaient 40 % de leurs calories sous forme de gras, dont beaucoup d'huile d'olive) – c'était la naissance du fameux régime méditerranéen, ou crétois.

L'étude aux sept pays posait les mêmes problèmes que l'étude aux six pays avant elle : d'abord Keys avait choisi sept pays dont il savait à l'avance qu'ils soutiendraient son hypothèse. Les conclusions eurent été fort différents si la Suisse et la France, par exemple, avaient été incluses.

L'étude prêtait également peu d'attention à la mortalité totale, mais elle démontrait en fait qu'un fort cholestérol ne prédit pas une plus grande mortalité, même s'il est associé à une plus grande incidence de maladies cardiaques. Ainsi, parmi les populations étudiées, les travailleurs ferroviaires américains avaient une longévité supérieure à celle des japonais, malgré un taux de décès par maladie cardiaque élevé (570 ‰).

L'usage de l'outil épidémiologique était enfin contestable, et particulièrement peu apte à identifier les causes de maladies chroniques et répandues comme les maladies cardiovasculaires.

L'effet d'un régime pauvre en graisses sur les maladies cardiaques ne fut testé que dans deux petits essais dans les années 1960, aux résultats contradictoires. Les autres études testèrent en fait un régime de réduction du cholestérol. Celles qui concluaient à un certaine efficacité en matière cardiaque montraient aussi souvent une mortalité totale plus élevée.

En fait, il n'y a jamais eu que deux essais qui aient étudié les effets d'un régime pauvre en graisses sur l'incidence des maladies cardiaques. L'un, hongrois, concluait positivement en 1963. L'autre, britannique, concluait négativement en 1965. Dans tous les autres essais menés, on modifiait les taux de cholestérol sanguin en changeant la composition des graisses dans l'alimentation, en remplaçant les graisses saturées par des poly-insaturées, sans changer la quantité totale de graisses ingérées.

L'essai du « Club anti-coronarien » fut de ceux-là, et on pouvait lire dans la presse dès 1962 des manchettes sur le lien entre régime alimentaire et maladie cardiaque. Là encore, pourtant, les résultats effectifs de l'étude du « Club » étaient moins encourageants. Les membres du Club suivaient un régime « prudent » où les huiles végétales étaient favorisées, et leur incidence d'incidents cardiaques était trois fois inférieure au groupe de contrôle, qui ne suivait pas un régime « prudent ». Mais la mortalité totale parmi les « prudents » était de vingt-six cas durant l'essai, contre six dans le groupe de contrôle.

De la même façon, l'essai de Seymour Dayton en Californie en 1969, portant sur 850 vétérans résidant à l'hôpital, testait le remplacement du beurre, de la crème et des fromages par des produits à base de graisses végétales. Si le groupe testé eut effectivement moins de mortalité par crise cardiaque (66 contre 96) et un cholestérol en baisse, la mortalité due au cancer était bien plus marquée (31 contre 17) et les mortalité totales des deux groupes étaient équivalentes.

Seule l'étude dite Helsinki, menée sur les patients de deux hôpitaux psychiatriques, sembla démontrer un bénéfice sur la longévité d'un régime pauvre en graisses saturées et riche en graisses poly-insaturées (mais pas pauvre en graisses). L'étude portait sur tous les patients présents dans chaque hôpital, par sur une population donnée, mais, selon les auteurs, « la rotation n'est en général pas significative dans les hôpitaux psychiatriques ». Dans cet essai, les hommes testés (mais pas les femmes) vivaient un peu plus longtemps, et avec moins de crises cardiaques, que le groupe contrôle. Les partisans de Keys ne tenaient pas compte de la mortalité totale dans l'étude du « Club », mais ils la mettaient en avant dans l'étude Helsinki.

Le plus grand essai mené aux Etats-Unis fut l'étude dite Minnesota, mais ses résultats ne jouèrent aucun rôle dans la controverse sur l'hypothèse de Keys, parce qu'ils restèrent seize ans impubliés. Ils restèrent impubliés, selon l'auteur, « parce que les résultats était décevants ». L'essai portait, comme Helsinki, sur des populations d'hôpitaux psychiatriques et de maisons de retraites, de sorte que les sujets suivaient le régime « poly-insaturé » pendant un an en moyenne. Le cholestérol baissa de 15% ; les hommes avaient moins de crises cardiaques, mais les femmes plus. 269 patients moururent contre 206 dans le groupe de contrôle.

Les dangers d'une attitude prétendument prudente et ne reposant en fait sur aucune preuve rigoureuse et sur aucune analyse coût/bénéfice ont été démontrés par des cas comme celui des hormones de croissances. Les études pour l'efficacité d'un médicament prêtent légitimement une grande attention à son effet global sur la santé, mais curieusement, les études comparant les régimes riches en graisses saturées et les régimes riche en graisses poly-insaturées ne se concentrèrent que sur la question des maladies coronariennes.

jeudi 28 janvier 2010

Le paradoxe Eisenhower (Taubes, Chapitre 1)

Voici mon résumé en français du premier chapitre du livre de Gary Taubes -- après le prologue et avant les chapitres suivants.

PREMIÈRE PARTIE : L'HYPOTHÈSE GRAS ET CHOLESTÉROL

Le paradoxe Eisenhower

Le cholestérol du président et l'échec du régime sans gras



Après sa première crise cardiaque en 1955, le président Eisenhower entreprit un régime de plus en plus drastique en vue d'éviter une récidive et de faire baisser son cholestérol. Son alimentation était déjà légère et pauvre en graisses et en cholestérol, mais il réduisit les quantités ainsi que son apport en graisses. Il échoua pourtant à faire baisser son poids ; son cholestérol (au point que son médecin en vint à lui mentir à ce sujet) continuait à augmenter ; et il souffrit d'une demi-douzaine d'infarctus jusqu'à sa dernière crise cardiaque, en 1969.

Cette première crise cardiaque fut un événement marquant pour la sensibilisation des américains aux problèmes cardiaques. En 1961, la fin du mandat d'Eisenhower coïncidait ainsi avec l'ascension du physiologiste Ancel Keys, qui faisait la une de Times six jours avant que le cholestérol du président n'atteigne 259 mg/l. Keys était formel: seul un régime pauvre en graisses et en cholestérol permettrait de prévenir les maladies cardiaques, de contrôler son poids, et de repousser l'échéance d'une mort prématurée.

Les deux mythes à l'origine de l'hypothèse du lien entre graisses dans l'alimentation et maladies cardiaques :...

Historiquement, l'origine de l'hypothèse selon laquelle les graisses dans l'alimentation provoquent des maladies cardiaques est à trouver dans deux mythes, encore colportés scrupuleusement de nos jours. Le premier est celui de la « grande épidémie » de maladies cardiaques au 20ème siècle. Le second est celui du grand changement de régime des américains. Ensemble, ces deux mythes racontaient l'histoire d'un occident qui serait passé d'un régime de céréales à un régime de viande rouge, et qui en paierait le prix sous forme de maladies cardiaques.

...la supposée épidémie de maladies cardiaques...

En ce qui concerne la thèse de l'épidémie de maladies cardiaques depuis les années 1920, il faut d'abord noter que l'époque de supposée émergence de ces maladies correspond à la victoire contre de nombreuses maladies infectieuses et parasitaires, et de l'allongement en conséquence de l'espérance de vie. Il est probablement exact que, vivant plus vieux et ne mourrant pas de causes infectieuses, les américains mouraient effectivement plus fréquemment de crises cardiaques. Mais la source même de telles statistiques est aussi contestable parce que l'attribution par le médecin coronaire d'une cause à la mort est peu fiable et influencé par les modes et les technologies. Ainsi le premier article sur le diagnostic des maladies coronariennes date-t-il de 1912, et l'invention de l'électrocardiogramme de 1918. La supposée émergence des maladies cardiaques coïncide donc avec l'émergence de la technologie de leur diagnostic. On présume aussi souvent qu'un patient est mort d'une maladie coronarienne quand on lui découvre de l'athérosclérose, ce qui n'est pas nécessairement le cas. Souvent les diagnostics de « mort subite » ou « mort inexpliqués » ont fait place à des diagnostics de crise cardiaque. Enfin il faut noter que la thèse de l'épidémie de maladies cardiaques doit beaucoup aux efforts de l'American Heart Association, une organisation privée de médecins qui a fait beaucoup pour la sensibilisation des américains aux questions de maladie cardiovasculaire, tout en servant ses intérêts propres.

Au long de toute ces années, les rapports et articles présentant des arguments convaincants contre la thèse de l'épidémie de maladies cardiaques furent systématiquement ignorés (p. ex. le rapport de l'AHA de 1957). Encore aujourd'hui, cette thèse n'est pas ouverte à la discussion.

et le soi-disant changement fondamental de régime des américains

Quant à la thèse du changement fondamental dans l'alimentation, elle repose sur une vision idyllique du tournant du siècle, supposément marquée par une alimentation saine et naturelle et l'absence de maladies chroniques. Cette image d'Epinal défendue par Ancel Keys ne repose en fait que sur une série de statistiques du Ministère américain de l'agriculture (USDA), lesquelles sont en fait des estimations approximatives qui partent de la production nationale, y ôte les exportations et ajoute les importations des différents produits agricoles, le tout corrigé au doigt mouillé. Qui plus est, ces données, qui remontent jusqu'à 1909, n'ont commencé à être établies par l'USDA qu'en 1920. Ce n'est qu'à partir de 1942 que les données de l'USDA deviennent plus fiables, de l'avis des spécialistes et des historiens.

Les historiens justement ont au contraire observé que, comme les anglais, les américains sont traditionnellement des mangeurs de viande. Certains documents suggèrent une consommation de viande huit fois plus élevée que celle de pain à la fin du XVIIIème siècle (voir p. ex. F. Trollope, Domestic Manners of Americans).

Dans la mesure où la consommation de viande a peut-être effectivement baissé au début du 20ème siècle, cette évolution s'explique par aussi par quelques facteurs conjoncturels et temporaires, comme le retard avec lequel l'augmentation des troupeaux suit l'augmentation accélérée de la population. On peut aussi identifier des facteurs culturels comme la publication du premier pamphlet contre l'industrie agro-alimentaire et la viande emballée, The Jungle d'Upton Sinclair, en 1906.

Qui plus est, si on observe les statistiques à partir du moment où elles sont fiables, on observe, dans le temps supposé de l'épidémie de maladies cardiovasculaires, un doublement de la consommation par tête de légumes verts et jaunes, de tomates et d'agrumes. Si donc on prenait en compte cet aspect des données et qu'on appliquait le raisonnement de Keys en faveur d'un régime pauvre en graisses et riches en céréales complètes, on devrait aussi favoriser un régime pauvre en légumes verts.

Les origines douteuses de l'hypothèse cholestérol

Élément essentiel des membranes cellulaires, le cholestérol est aussi une composante des plaques de l'athérosclérose. Peu à peu s'est développée l'imagerie « plombière » pour décrire ses méfaits supposés : il « bouche les artères », dit-on encore aujourd'hui. A l'origine, les seules preuves avancées à l'appui de cette thèse provenaient d'expériences sur animaux, comme des lapins, c'est-à-dire des herbivores qui en effet toléraient mal un régime d'huile d'olive et de jaunes d'oeufs.

Ensuite, la persévérance de l'hypothèse cholestérol s'explique aussi par la facilité de la mesure du cholestérol sanguin total – déjà entre-deux guerres, n'importe quel docteur pouvait facilement mesure le cholestérol sanguin. Un premier problème de cette mesure, néanmoins, est l'extrême variabilité du cholestérol sanguin, qui peut varier de 20 à 30% en fonction de l'exercice, des fluctuations de poids, de la saison, de la position du corps, et des médicaments ou de l'alcool consommé.

Les chercheurs n'ont jamais pu montrer de lien entre athérosclérose et cholestérol. Enormément de patients souffrant d'athérosclérose ont un cholestérol normal. Les personnes atteintes d'hyper-cholestérolémie n'ont pas plus d'athérosclérose et ne meurent que rarement de crises cardiaques. A l'autopsie, les personnes à haut cholestérol n'ont pas, en moyenne, les artères plus « bouchées » que celles qui ont un faible cholestérol. Familier de ces faits, les chirurgiens du coeur et les cardiologues étaient parmi les plus sceptiques quand à « l'hypothèse cholestérol » dans les années 1960. Même si le cholestérol était associé avec un plus grand nombre de maladies cardiaques, cela laisserait entière la question de pourquoi tellement de personnes sont atteintes de maladies coronariennes sans avoir de cholestérol, et pourquoi tellement de personnes à fort cholestérol n'ont pas de maladie cardiaque ou n'en meurent pas.

Le rôle d'Ancel Keys, champion de la lutte contre le cholestérol



Ancel Keys fut le grand champion de l'hypothèse cholestérol. Il acquit sa célébrité pendant la guerre, d'abord en développant des rations alimentaires pour les soldats, ensuite pour ses études sur la biologie de l'état de famine. Si ses qualités scientifiques n'étaient pas aveuglantes, sa volonté était de fer. Pour Keys, la révélation vint de Naples, en 1951 : les maladies cardiaques n'y existaient presque pas, à part parmi les riches. Les classes laborieuses mangeaient apparemment peu de viande, avait peu de cholestérol et peu de crises cardiaques. Les riches mangeaient plus et plus gras, ils avaient du cholestérol et des maladies cardiaques.

Keys était dorénavant convaincu que ce sont les graisses dans l'alimentation qui causent les maladies cardiaques. Il passa les années qui suivent à amasser de par le monde des observations à l'appui de cette thèse. Il attribuait ainsi la quasi-disparition des maladies cardiaques pendant la seconde guerre mondiale en Europe au rationnement des graisses (alors que toutes les nourritures étaient de fait rationnées, en particulier la farine et le sucre). Keys affirmait dès 1953, sur la base des exemples des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie, de l'Angleterre et du Pays de Galle, de l'Italie et du Japon, que la principale variable expliquant les maladies cardiaques était la quantité de gras dans l'alimentation. Keys n'avait retenu que six pays, quand des données étaient disponibles pour vingt-deux (la France par exemple eut sans aucun doute servi de contre-exemple), et il n'avait au plus démontré que des associations et pas une causalité (une confusion fréquente en science et en particulier dans le champ de la nutrition).

Au contraire, certains des faits les plus avérés quant à la relation entre notre alimentation et maladie cardiaque furent splendidement ignorés par Keys, et le sont encore par les autorités de santé publique : par exemple l'effet du cholestérol alimentaire sur le cholestérol sanguin est cliniquement négligeable, excepté peut-être pour un petit nombre d'individus particulièrement sensibles. Malgré les affirmation initiales de Keys tout au long des années 1950, le cholestérol n'est que peu influencé par la quantité totale de graisses dans l'alimentation. En 1957, Laurance Kinsell et Edward Ahrens démontraient que c'étaient en fait la quantité de graisses saturées qui faisait monter le cholestérol, et pas forcément les graisses animales – ainsi le gras du lard ou du poulet sont-ils majoritairement insaturés.

En 1957, l'American Heart Association (AHA) rejetait dans son rapport la position de Keys qui, écrivait-elle, « ne résistait pas à un examen critique ». Quatre ans plus tard, sans nouvelle preuve scientifique, l'AHA, dans un rapport de deux pages sans bibliographie, rédigé par un comité incluant Keys et d'autres partisans inconditionnels de l'hypothèse cholestérol, défendait la position inverse : « les meilleures preuves disponibles, disaient-ils, suggèrent fortement que les américains réduiraient leur risque de maladie cardiaque en réduisant les graisses dans leur alimentation ». C'est suite à la diffusion de ce rapport que Keys et sa nouvelle sagesse alimentaire faisaient la une de Time, avec à l'intérieur du magazine une seule phrase notant que certains chercheurs « avaient des idées différentes quant à la cause des maladies coronariennes ».